Battisti suite
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Un peu de lecture pendant que certains sont en vacances concernant l'Affaire Battisti. Il est important de savoir qu'en Italie il n'y a pas que des groupies du Duce Berlusconi ! Vous pouvez allez voir (Rue89) ICI ce qu'il en est ! Et lire le document ci-dessous répondant à quelques questions souvent posées concernant Battisti !
1
Pourquoi Cesare Battisti fut-il
arrêté en 1979 ?
Il
fut arrêté dans le cadre des rafles qui frappèrent le Collectif Autonome de la Barona
(un quartier de Mila) après que, le 16 février 1979, fut tué le bijoutier Luigi
Pietro Torregiani.
Pourquoi le bijoutier Torregiani
fut-il assassiné ?
Parce
que, le 22 janvier 1979, avec un de ses amis lui aussi armé, il avait tué Orazio
Daidone : un des deux braqueurs qui avaient attaqué le restaurant Il Transantlantico
où il dînait en nombreuse compagnie. Un client, Vincenzo Consoli, mourut dans
la fusillade, un autre fut blessé. Ceux qui ont tué Torregiani entendaient
frapper
ceux qui, durant cette période, avaient tendance à « se faire justice eux-mêmes ».
Cesare Battisti participa-t-il au
braquage du Transatlantico ?
Non.
Personne n’a jamais prétendu cela. Il s’agissait d’un épisode de délinquance
commune.
Cesare Battisti participa-t-il au
meurtre de Torregiani ?
Non.
Cette circonstance aussi - affirmée dans un premier temps - fut ensuite totalement
excluse. Autrement, il aurait été impossible de l’impliquer, comme il advint
par la suite, dans le meurtre du boucher Lino Sabbadin, survenu dans la province
d’Ude ce même 16 février 1979, presque à la même heure.
Et pourtant, on a laissé entendre
que Cesare Battisti a blessé un des fils adoptis de Torregiani, Alberto, resté
ensuite paraplégique.
Il
est avéré qu’Alberto Torregiani a été blessé par erreur par son père, dans l’échange
de coups de feu avec les agresseurs.
Les médias insistent pour indiquer
que Cesare Battisti est le tueur de Torregiani, souvent même ils disent que c’est
lui qui a blessé Alberto et l’a condamné à la chaise roulante. Alberto ne
rectifie jamais, ne fut-ce que par souci de précision. Spataro non plus ne
rectifie jamais. Pourquoi ?
C’est
inexplicable. Les assassins réels (Sebastiano Masala, Santo Fatone, Gabriele
Grimaldi et Giuseppe Memeo) ont été capturés peu de temps après le guet-apens et
ont purgé des peines plus ou moins longues.
2
Le procureur Armando Spataro, dans
le Corriere della Sera du 23 janvier 2008, dit que
Battisti « exécuta » Luigi Pietro Torregiani, coupable d’avoir réagi armes à la
main contre un braquage qu’il avait subi.
Cela
aussi est inexplicable. Le déroulement des faits est très différent, Spataro lui-même
l’expliqua d’autres fois: Torregiani et un collègue firent feu, avec des revolvers
de gros calibres, sur des gens en train de braquer la caissse du restaurant Transatlantique
où ils étaient en train de dîner avec des amis.
Pourquoi donc Cesere Battisti
est-il associé au meurtre de Torregiani ?
Avant
tout parce que, de son propre aveux, il faisait partie du groupe qui revendiqua
l’attentat, les Prolétaires armés pour le Communisme. Le même groupe qui
revendiqua l’attentat contre Sabbadin.
Qu’est-ce que c’était, les
Prolétaires armés pour le Communisme (PAC) ?
Un
des nombreux groupes armés nés, vers la fin des années 70, dans le mouvement
dit de l’Autonomie ouvrière, et qui se consacraient à ce qu’ils appelaient l’ «
illégalité diffuse » : des « expropriations » (banques, supermarchés) aux représailles
contre les entreprises qui organisaient le travail noir jusqu’à, plus rarement,
des attentats visant blesser ou à tuer.
Les PAC ressemblaient-ils aux
Brigades rouges ?
Non.
Comme tous les groupes autonomes, ils ne projetaient ni la construction d’un
nouveau parti communiste, ni un renversement immédiat du pouvoir. Ils cherchaient
plutôt à prendre le contrôle du territoire, en y déplaçant les rapports de force
en faveur des classes subalternes, et en particulier de leurs composantes juvéniles.
Ce projet, quel que soit le jugement qu’on porte sur lui (en tout cas, il n’a
pas
marché), ne coïncidait pas avec celui des BR.
Le procureur Spataro a dit que les
adhérents des PAC n’étaient pas plus d’une trentaine.
Les
personnes poursuivies pour appartenance aux PAC étaient au moins 60. La plus
grande partie étaient des jeunes ouvriers. Ensuite, il y avait des chômeurs et
des enseignants. Les étudiants n’étaient que trois. Le sigle PAC fut de toute
façon utilisé par d’autres regroupements.
Trente ou soixante, ça ne fait pas
beaucoup de différence.
Ça
en fait, en fait. Cela change les probabilités de participation aux choix généraux
de l’organisation, et aussi aux actions projetées par celle-ci. N’oublions pas 3
que si les braquages attribués aux PAC sont des dizaines, les meurtres sont au nombre
de quatre. La participation directe à l’un d’entre eux devient beaucoup moins probable,
quand on double le chiffre des effectifs.
Cesare Battisti était le chef, ou
l’un des chefs des PAC ?
Non.
C’est une pure invention journalistique. Ni les actes du procès, ni aucun autre
élément n’incitent à le considérer comme un des chefs. Du reste, il n’avait pas
un passé tel - comme ex petit voleur de banlieue, privé de formation idéologique
-qu’il puisse jouer un rôle de ce genre. C’était un militant parmi tant d’autres.
Au procès, Battisti fut pourtant
jugé parmi les « organisateurs » du meurtre de Torreggiani.
De
manière déductive. D’après le dissocié Arrigo Cavallina, il aurait participé à des
réunions où on avait discuté de l’éventualité de l’attentat, sans exprimer d’avis
contraire. Sauf qu’avec l’entrée en scène du repenti Mutti - après que
Battisti, condamné à douze ans et demi, se fut évadé de prison et enfui au
Mexique - l’accusation se précisé, mais encore une fois de manière déductive.
Puisque Battisti était accusé par Muti d’avoir joué un rôle de couverture dans
le meurtre de Sabbadin, et puisque les attentats contre Torregiani et Sabbadin
étaient clairement inspirés par la même stratégie (frapper les commerçants qui
tuaient les braqueurs), Battisti devait forcément se trouver parmi les «
organisateurs » du guet-apens contre Torregiani, même sans y avoir participé en
personne.
Et pourtant, de tous les crimes
attribués à Battisti, celui sur lequel on insiste
le plus est justement l’affaire
Torregiani.
Peut-être
parce qu’elle se prêtait pus que les autres à un usage « spectaculaire » (voir
l’usage récurant par les médias d’Alberto Torregiani, pas toujours disposé,
pour des motifs par ailleurs compréhensibles, à révéler qui l’a blessé). Ou
bien - vu ceux qui nous gouvernent et les propositions formulées il y a
quelques années par le ministre Castelli, sur le thème de l’auto-défense des
commerçants - était-ce l’épisode le mieux à même de faire vibrer certaines
cordes dans l’électorat de référence.
En tout cas, ceux qui défendent
Battisti ont souvent joué la carte de la
« simultanéité » entre le meurtre
de Torregiani et celui de Sabbadin, alors que
Battisti a été accusé d’avoir «
organisé » le premier et « exécuté » le second.
Ceci
est dû à l’ambiguïté même de la première demande d’extradition de Battisti (en
1991), aux informations contradictoires fournies par les journaux (le nombre et
la qualification des crimes variait d’un titre à l’autre), au silence de ceux
qui savaient. N’oublions pas qu’Armando Spataro a fourni des détails sur l’affaire
- pour mieux dire, un certain nombre de détails - seulement après que la
campagne en faveur de Cesare Battisti a commencé à contester la manière dont
furent menées l’instruction et le procès. N’oublions pas non plus que le
gouvernement italien a jugé bon de soumettre aux magistrats français, à la
veille de l’audience qui devait examiner la nouvelle demande d’extradition de
Cesare Battisti, 800 pages de documents. Il est facile d’en conclure qu’il
jugeait lacunaire la documentation produite jusque-là. Par conséquence, et à
plus forte raison, de telles lacunes existaient aussi pour ceux qui voulaient
empêcher l’extradition.
La simultanéité entre le meurtre
de Sabbadin et celui de Torregiani démontre une conception unique.
Mais
il faudrait prouver que Battisti participa effectivement au meurtre de Sabbadin.
Initialement, le repenti Mutti attribua à Battisti la culpabilité d’avoir tiré sur
le boucher et dit ne pas avoir participé à l’action. Malheureusement pour lui,
le militant des PAC Diego Giacomin se dissocia et révéla que c’était lui-même
qui avait tué le commerçant, en compagnie de Mutti. A ce point - à ce point
seulement – Mutti dut admettre sa présence et rétrograda Battisti au rôle de
complice. (2)
En tout cas, le procès contre
Cesare Battisti et contre les autres accusés du meurtre de Torregiani fut un
procès régulier.
Non,
ce ne fut pas un procès régulier et le démontrer est plutôt simple.
Pourquoi le procès Torregiani,
élargi ensuite à toute l’affaire des PAC, ne fut-il pas régulier.
Il
ne fut pas régulier, sinon dans le cadre des distorsions de la légalités introduites
par la soi-disant « situation d’urgence ». Du point de vue du droit général, le
procès fut vicié par trois éléments au moins : le recours à la torture pour
extorquer des aveux dans la phase de l’instruction (3), l’utilisation de
témoins mineurs ou affectés de troubles psychiques, la multiplication des chefs
d’accusation sur la base des déclarations d’un repenti d’une fiabilité
incertaine. Plus d’autres éléments
mineurs.
Les magistrats torturèrent les
personnes arrêtées ?
Non.
Ce fut la police qui les tortura. Il n’y eut pas moins de treize plaintes :
huit provenant d’inculpés, cinq de leurs parents. Ce n’était pas un fait
inédit, mais certes jusque-là insolite, dans une instruction de ce type. Les
magistrats se limitèrent à enregistrer les plaintes, pour ensuite les classer.
Peut-être qu’ils les ont classées
parce qu’il ne s’agissait pas de tortures, mais de simples pressions un peu
fortes sur les inculpés.
Un
des cas les plus fréquemment dénoncés fut celui de l’obligation d’ingurgiter de
l’eau versée dans la gorge de la personne interrogée, à pleine pression, par le
moyen d’un tuyau, tandis qu’un agent lui donnait des coups de genou dans l’estomac.Tous
racontèrent aussi avoir été contraints de se déshabiller, avoir été enveloppés
de couvertures pour éviter les marques et ensuite frappés à coups de poing ou
de bâton. Quelquefois attachés à une table ou à un banc.
Si les magistrats ne donnèrent pas
de suite aux plaintes, c’est peut-être parce qu’il n’y avait pas de preuves que
tout cela ait réellement eut lieu.
De
fait, le substitut Alfondo Marra, charger d’un rapport par le juge instructeur Maurizio
Grigo, après avoir déclassé les délits commis par les agents de la Digos (police
politique - NDF) de « lésions » à « coups » en absence de signes permanents sur
le corps (en Italie, le délit de torture n’existait pas, et il n’existe
toujours pas), ce substitut concluait que l’imputation de « coups » ne pouvait
pas avoir de suite, vu que les agents, uniques témoins, ne confirmaient pas. De
son côté, le procureur Corrado Carnevali, chargé du procès Torregiani, insinua
que les plaintes pour torture constituaient un système adopté par les accusés
pour délégitimer toute l’enquête.
Rien ne nous dit que le procureur
Carnevali ait eu tort.
Un
épisode au moins ne coïncide pas avec sa thèse. Le 25 févier 1979, l’inculpé Sisino
Bitti dénonça au substitut Armando Spataro les tortures subies et revint sur
les aveux faits durant l’interrogatoire. Entre autres, il raconta qu’un
policier, en le frappant avec un bâton, l’avait incité à dénoncer un certain
Angelo ; sur quoi, il avait dénoncé le seul Angelo qu’il connaissait, un
certain Angelo Franco. La rétractation de Bitti ne fut pas crue et Angelo
Franco, un ouvrier, fut arrêté comme participant au meurtre de Torregiani. Sauf
que quelques jours plus tard, on dut le relâcher : il ne pouvait en aucune
manière avoir pris part au guet-apens. Donc la rétractation de Bitti était sincère
et donc, selon toute probabilité, étaient vraies aussi les violences par lesquelles
ses faux aveux avaient été obtenus. Sisinio Bitti se retrouva avec des lésions
permanentes des tympans. Il se les était procurées tout seul ?
Même si on admet le recours à des
sévices durant la phase de l’instruction, cela n’absout pas Cesare Battisti.
Non,
mais cela donne une idée du type de procès où il fut impliqué. Le définir comme
« régulier » est pour le moins discutable. Parmi les témoins à charge de certains
accusés figurait aussi une gamine de quinze ans, Rita Vitrani, poussée à déposer
contre son oncle ; jusqu’à ce que les contradictions et les naïvetés où elle tombait
ne fassent comprendre qu’elle était psychiquement faible (« aux limites de l’imbécillité
», déclarèrent les experts) (4). Il y eut aussi un autre témoin, Walter Andreatta
, qui tomba rapidement dans un état confusionnel et fut défini comme «
déséquilibré » et victime de crises dépressives par les mêmes experts du
tribunal.
Même si on admet le cadre précaire
de l’enquête, il faut considérer que Cesare Battisti renonça à se défendre.
Presque une reconnaissance de culpabilité même si, avant de se taire, il se
proclama innocent.
Ça
peut apparaître comme cela aujourd’hui, mais pas à l’époque. C’est même le contraire.
A cette époque, les militants des groupes armés capturés se proclamaient prisonniers
politiques et renonçaient à se défendre parce qu’ils ne reconnaissaient pas la
« justice bourgeoise ». Battisti renonça parce qu’il dit douter de l’équité du
procès.
Si on laisse de côté les violences
et les témoignages peu fiables durant la phase de l’instruction, le procès fut
néanmoins mené à bien avec équité.
Pas
vraiment. Des accusés mineurs fut frappés de peines disproportionnées. Bitti, déjà
cité, reconnu innocent de tout délit, fut quand même condamné à trois ans et
demi de prison pour avoir été entendu approuver, dans un lieu public, l’attentat
contre Torregiani. On avait eu recours au dénommé « concours moral » à un
meurtre, chef d’accusation directement inspiré des procédures de l’Inquisition.
Angelo Franco, déjà cité, quelques jours après avoir été relâché, fut de
nouveau arrêté, cette fois pour association subversive, et condamné à cinq ans.
Cela en l’absence de tout autre délit, simplement parce qu’il avait fréquenté
le collectif autonome de la Barona.
D’après Luciano Violante (haut
magistrat proche de la « gauche » institutionnelle italienne - NDT), une
certaine « dureté » était indispensable pour étouffer le terrorisme. Et Armando
Spataro soutien que, pour cela, la circonstance aggravante des « fins
terroristes », qui doublait les peines, se révéla une arme décisive.
Elle
brisa aussi les vies de nombreux jeunes, arrêtées sur des accusations destinées
à s’aggraver de manière exponentielle au cours de leur détention, même en l’absence
de crime de sang.
Cela ne vaut pas pour Cesare
Battisti, condamné à la perpétuité pour avoir participé à deux meurtres et en
avoir exécuté deux autres.
Nous
avons parlé des meurtres de Torregiani et de Sabadin. Venons-en à Santoro et
Capagna. Mutti accuse Battisti d’être le meurtrier de Santoro mais ensuite les
preuves le contraignent à admettre que c’est lui, l’assassin. Le meurtre de l’agent
Campagna advient après que les PAC se soient dissoutes, et un petit groupe de quartier
en poursuit la pratique. L’assassin s’appelle Giuseppe Memeo, coupable
avoué.
Il a tiré avec le même pistolet que celui qui avait tué Torregiani. Mutti en parle
par ouï-dire. Memeo avait un complice blond, d’1 mètre 90. Battisti ? On va y revenir.
Au terme du procès de première instance, Battisti, arrêté à l’origine sous des accusations
mineures (possession d’armes, qui d’ailleurs s’avèrent n’avoir jamais tiré), se
retrouva condamné à douze ans et demi de prison. Les condamnations à la réclusions
tombèrent cinq ans après son évasion de prison. Mais là, il est temps de parler
des « repentis » et, surtout, du principal repenti qui l’accusa. Pour ensuite entrer
dans la discussion des trois autres crimes.
Essayons de comprendre ce que c’est
qu’un « repenti ».
Si
nous nous référons aux groupes d’extrême gauche, on appelait ainsi les détenus
pour délits en relation avec des associations armées, détenus qui, en échange de
remises de peine consistantes, renient leur expérience et acceptent de dénoncer
leurs camarades, contribuant ainsi à leur arrestation et au démantèlement de l’organisation.
De fait, une figure de ce genre existait déjà à la fin des années 70 mais elle
fait partie de manière stable de l’ordre juridique grâce d’abord à la « loi Cossiga
» du 6/2/1980 puis avec la « loi sur les repentis » du 29/5/1982. Elle manifeste
les dangers inhérents à son mécanisme aussi bien avant qu’après cette date.
Ce serait quoi, ces dangers ?
La
logique de la norme faisait que le « repenti » pouvait compter sur des réductions
de peine d’autant plus élevées qu’il dénonçait un plus grand nombre de gens ;
donc, une fois épuisée la réserve d’informations en sa possession, il était poussé
à s’appuyer sur des présomptions et sur les bruits recueillis ici et là. En
outre, la rétroactivité de la loi incitait à des délations indiscriminées même
de très nombreuses années après les faits, quand les vérifications matérielles
étaient devenues impossibles.
Existe-t-il des exemples de ces
effets pervers ?
Le
cas le plus spectaculaire fut celui de Carlo Fioroni, qui, menacé de la perpétuité
pour l’enlèvement à fin de chantage d’un ami, décédé au cours de l’enlèvement,
accusa de complicité Toni Negri, Oreste Scalzone et d’autres responsables de l’organisation
Potere Operaio, échappant ainsi à la condamnation. Mais d’autres repentis
aussi, tels que Marco Barbone (aujourd’hui collaborateur de quotidiens de
droite), Antonio Savasta, Pietro Mutti, Michele Viscardi, etc. continuèrent
pendant des années à pressurer leur mémoire pour distiller des noms. Chaque
dénonciation était suivie d’arrestations, au point que la détention devint arme
de pression pour obtenir de nouveaux repentirs. Malheureusement, cela ne
suscita de scandale que dans un second temps, quand la logique du repentir,
appliquée au terrain de la criminalité commune, provoqua l’affaire Tortora
(présentateur télévisé accusé par un repenti d’appartenance à la mafia en 1983,
arrêté, condamné à dix ans de prison puis innocenté en 1986 - NDT) et d’autres
moins connues.
Pietro Muti fut l’accusateur
principal de Cesare Battisti. Qui était-il ?
Ce
fut, de son propre aveux, le fondateur des PAC. Bien qu’en cavale, il figura parmi
les accusés du procès Torregiani, et l’accusation demanda pour lui huit ans de prison.
Il fut capturé en 1982 (alors que Battisti s’était déjà évadé), à la suite de
la fuite hors de la prison de Rovigo, le 4 janvier de cette année, de quelques
militants de Prima Linea. Mutti fut parmi les organisateurs de l’évasion. Il
avait été compagnon de cellule de Battisti, quand ils étaient en prison pour
des délits de droit commun, et
auteur
de sa politisation (un rôle curieusement revendiqué ensuite par le dissocié
Arrigo
Cavallina).
De quels délits Mutti, une fois
repenti, accusa-t-il Battisti ?
Si
on néglige les délits mineurs, de trois meurtres. Battisti (avec une complice
et avec Mutti lui-même, qui dans un premier temps essaya de nier sa présence)
aurait directement assassiné, le 6 juin 1978, le brigadier des gardiens de la
prison d’Udine Antonio Santoro, que les PAC accusaient de maltraiter les
détenus. Il aurait directement assassiné à Milan, le 19 avril 1979, l’agent de
la Digos Andrea Campagna, qui avait participé aux premières arrestations liées
à l’affaire Torregiani. Aux deux crimes auraient pris part, sans tirer
directement mais avec des rôles de couverture, au meurtre déjà cité du boucher Lindo
Sabbadin de Santa Maria di Sala. De tout cela, on a déjà discuté.
Le meurtre de Sabbadin est parmi
ceux dont on a le plus parlé. Dans une interview à un groupe d’extrême-droite
française, le Bloc Identitaire, le fils de Lino Sabbadin, Adriano, a déclaré
que les assassins du père auraient été les complices du braqueur tué par lui.
Ou
bien sa réponse a été mal interprétée, ou bien il a déclaré une chose qui n’apparaît
dans aucun acte judiciaire. Mieux vaut laisser de côté les déclarations des familiers
des victimes, dont la fonction, au cours des quatre dernières années, a été essentiellement
du spectacle.
Cesare Battisti est-il coupable ou
innocent des trois meurtres dont l’accusa Mutti ?
Il
se dit innocent, même s’il assume le choix erroné en direction de la violence qui,
en ces années-là, l’impliqua, lui comme tant d’autres jeunes. Mais ici, il ne s’agit
pas d’établir l’innocence ou pas de Battisti. Il s’agit en revanche de voir si
sa culpabilité fut vraiment jamais prouvé, ainsi que de vérifier, à cette fin,
si la procédure qui conduisit à sa condamnation peut être jugée correcte. Au
cas contraire, on ne pourrait expliquer l’acharnement avec lequel le
gouvernement italien, avec le soutien en outre de noms illustres de l’opposition,
a essayé de se faire livrer Battisti par la France d’abord, puis par le Brésil.
A part les dénonciations de Mutti,
est-ce que d’autres preuves à charge contre Battisti sont apparues, pour les
meurtres de Santoro, de Sabbadin (ne fût-ce que pour un rôle de couverture) et
de Campagna ?
Non.
Quand les magistrats, aujourd’hui, parlent de « preuves », ils se réfèrent au croisement
effectué par eux, entre les déclarations d’un repenti (dans notre cas Mutti) et
les indices indirectement fournis par les « dissociés », du genre Cavallina.
Armando Spataro continue à
affirmer qu’il y aurait des preuves et des vérifications.
Il
continue à le dire mais ne spécifie jamais lesquelles.
Qu’est-ce qu’on entend par «
dissocié » ?
Quelqu’un
qui prend ses distances de l’organisation armée à laquelle il appartenait et
qui avoue ses délits et les circonstances qui le concernent, mais sans accuser
d’autres personnes. Ceci entraîne une remise de peine, même si, évidemment, elle
est inférieure à celle d’un repenti.
En quel sens un dissocié peut-il
fournir indirectement des indices ?
Par
exemple, s’il affirme ne pas avoir participé à une réunion parce qu’opposé à une
certaine action qui était projeté durant celle-ci, mais sans dire qui y
participait. Si entre-temps un repenti a dit que X a participé à cette réunion,
X figurera automatiquement parmi les organisateurs.
Qu’est-ce qui ne va pas, dans
cette logique ?
Il
y a que, aussi bien la dénonciation directe du repenti, que l’indice fourni par
le dissocié, proviennent de personnes poussées par la promesse d’un
raccourcissement de sa détention. Leur lecture conjointe, si les preuves
manquent, est effectuée par un magistrat qui les choisit parmi différentes
variantes possibles. En outre, c’est de toute façon le repenti, c’est-à-dire
celui qui a les plus fortes incitations, qui est déterminant. Tout cela, dans d’autres
pays (non totalitaires) serait admis dans la phase de l’instruction, et dans
les phases de débats, pour la confrontation avec l’accusé. Ce ne serait jamais
accepté avec une valeur probatoire dans la phase du jugement. En Italie, oui.
Dans le cas de Battisti, d’autres
preuves manquent ?
Il
y a seulement des reconnaissances de témoins que le magistrat Armando Spataro
lui-même a défini peu significatives.
Et pourtant, il dit que « les
aveux de Mutti (…) ont été confortés par de nombreux témoignages et par les
déclarations ultérieures d’autres exterroristes.»
Il
s’agit toujours de Mutti et de Cavallina. Quand aux témoins, il suffit de dire qu’ils
affirment que l’auteur du meurtre de Santoro avait la barbe (et là, nous y sommes,
Mutti parle d’une fausse barbe), était blond (Battisti aurait pu se teindre les
cheveux) et mesurait 1,90 (là, nous n’y sommes plus : Battisti dépasse de peu
1,60 m).
Mais le repenti Pietro Mutti ne
peut-il pas être considéré comme crédible ?
Est-ce qu’il y a des motifs pour
soutenir qu’il est tombé dans le mécanisme « plus j’avoue, moins je reste en
prison » ?
C’est
une sentence de la Cassation de 1993 qui le soutient. Citons-la textuellement :
« Ce repenti est un spécialiste des tours de prestidigitation entre ses divers
complices, comme quand il introduit Battisti dans l’attaque à main armée de viale
Fulvio Testi pour sauver Falcone (…) ou encore Lavazza ou Bergamin à la place
de Marco Masala dans deux braquages de la région de Vérone. » Plus bas : « Du
reste, Pietro Mutti utilise aussi l’arme du mensonge en faveur de lui-même, comme
quand il nie avoir participé avec usage des armes à feu, à l’agression de Rossanigo,
blessé, ou à celle de Santoro, tué ; pour lesquelles il avait été déféré par la
Digos de Milan et par les carabiniers d’Udine. Voilà pourquoi ses aveux ne peuvent
être considérés comme spontanés. » Tenons compte en outre que Mutti, coupable
de meurtres et de braquages, n’a passé que huit ans en prison. Un privilège partagé
avec l’assassin de Walter Tobagi (cette affaire aussi, sur laquelle flottent de
nombreux doutes, fut instruite par Armando Spataro), avec le multi-homicide Michele
Viscardi et beaucoup d’autres repentis.
Il y a d’autres motifs pour douter
de la sincérité de Mutti ?
Oui.
Les dénonciations de Mutti ne concernèrent pas que Battisti et les PAC mais
furent à 360° et adressées dans les directions les plus variées. La plus spectaculaire
concernait l’OLP de Yasser Arafat, qui aurait fourni des armes aux Brigades
Rouges. En particulier, soutint Mutti, « trois fusils AK47, 20 grenades, deux mitrailleuses
FAL, trois revolvers, une carabine de précision, 30 kilos d’explosifs et dix
mille détonateurs » (pas grand chose, au fond, à part le numéro incongru de détonateurs
; il manquait juste qu’Arafat livre un pistolet à air comprimé). Le procureur
Carlo Mastelloni peut, sur la base de cette précieuse révélation, ajouter un fascicule
à son « enquête en Vénétie » sur les rapports entre terroristes italiens et palestiniens,
et il voulut même faire juger Yasser Arafat. Puis il dut tout classer, parce qu’Arafat
ne vint pas et que le reste se dégonfla.
11
Cela a voir avec les armes,
provenant du Front Populaire pour la Libération de la Palestine, mise en vente
en 1979, par un certain Maurizio Follini, qu’Armando Spataro dit avoir été
militant des PAC ?
Ce
Follini était un marchand d’armes et, selon certaines sources, espion soviétique.
Il fut mis en cause par Mutti, mais à propos d’autres groupes que les PAC. Mieux
vaut étendre un voile miséricordieux là-dessus. Mais après avoir noté combien les
révélations de Mutti tournaient au délire.
Mutti n’est peut-être pas fiable
pour d’autres enquêtes, mais rien ne nous garantit que, au moins sur les PAC,
il ne dise pas la vérité.
Rien
ne nous le dit, en fait, sinon un détail. En 1993, la Casation a relaxé une
coaccusée de Battisti (dans l’affaire Santoro), elle aussi dénoncée par Mutti.
Je parle de 1993. Pendant dix ans, la magistrature avait cru, à son égard, aux
accusations du repenti. Sans commentaires.
Même si on admet que le procès qui
s’est conclu par la condamnation de Cesare Battisti a été vicié par des
irrégularités et s’est appuyé sur les dépositions de repentis peu crédibles, il
est certain que Battisti a pu se défendre devant les différentes juridictions.
Ce
n’est pas vrai, au moins pour ce qui concerne le procès d’appel de 19896, qui modifia
la décision du premier degré et le condamna à la perpétuité. Battisti était alors
au Mexique et ignorait ce qui se passait contre lui en Italie.
Le magistrat Armando Spataro a dit
que, même s’il s’était de sa propre initiative soustrait à la justice
italienne, Battisti put se défendre à tous les degrés du procès à travers l’avocat
nommé par lui.
Ce
n’est vrai que pour la période où Battisti se trouvait en France, et donc cela vaut
essentiellement pour le procès en cassation qui eut lieu en 1991. Cela ne vaut pas
pour le procès de 1986, qui déboucha sur la décision de la cour d’appel de
Milan du 24 juin de cette année-là. A ce moment-là, Battisti n’avait de
contacts ni avec l’avocat, payé par sa famille, ni avec sa famille elle-même.
Ça, c’est lui qui le dit.
Bon,
Me Giuseppe Pelazza de Milan, qui assura sa défense, le dit aussi, et sa famille
aussi. Mais certainement, il s’agit de témoignages partiaux. Reste le fait que Battisti
ne fut jamais confronté avec le repenti Mutti qui l’accusait. Il s’était
échappé de prison, d’accord : mais le fait objectif est qu’il ne peut
intervenir dans une procédure qui transforma sa condamnation à douze ans de
détentions en deux peines de perpétuité (aucun autre accusé du procès n’eut une
condamnation semblable, ycompris les assassins de Torregiani !) et qui lui
attribua l’exécution de deux meurtres, la participation à des titres divers à
deux autres, quelques blessures et une soixantaine de braquages (c’est-à-dire l’activité
entière des PAC). Ceci était et est admissible pour la loi italienne mais pas
par la législation d’autres pays qui, tout en prévoyant la condamnation par
contumace, impose un nouveau procès en cas de capture du contumax.
Mais Battisti signa des
délégations à ses avocats, pour qu’ils le représentent pendant qu’il était
contumax.
Il
a été amplement démontré, par des experts de la défense mais choisis parmi ceux
agrémentés par le tribunal de Paris, que les signatures furent falsifiées
(peut-être dans une bonne intention). Les procurations étaient en blanc, et
furent rédigées en 1981.
Battisti affirme son innocence,
hormis des faits mineurs attribuables aux PAC, sans fournir de preuves
concrètes.
Mais
Battisti n’est pas tenu de prouver quoi que ce soit ! La charge de la preuve revient
à ceux qui l’accusent. Quant au fond de la question, tâchons de le résumer : 1)
Une instruction menée à partir d’aveux extorqués par des méthodes violentes ;
2)une série de témoignages de personnes incapables de témoigner, de par leur
âge ou leurs facultés mentales ; 3) une sentence d’une sévérité exagérée ; 4)
Une aggravation de la sentence en question consécutive à l’apparition tardive d’un
« repenti » qui dévide des accusations toujours plus graves et généralisées. Le
tout dans le cadre de normes rendues beaucoup plus dures et visant à l’étouffement
rapide d’un mouvement social de vaste portée, plus ample que les positions
individuelles.
Cela n’ôte rien au fait qu’une
grande partie de la gauche se range en rangs serrés dans le soutien à un
magistrat comme Armando Spataro, et soit unanime à demander l’extradition au
Brésil.
Précisément,
ceci est le problème de la gauche. C’est à se demander si elle sait ce que non
seulement Spataro, mais aussi d’autres magistrats qui comme lui conduisirent la
répression des mouvements des années 70, pensent des cas d’Adriano Sofri ou de
Silvia Baraldini (deux affaires où la gauche a soutenu la révision des condamnations
- NDT). J’imagine - ou peut-être j’espère - qu’un bon nombre de membres de la «
gauche » (appelons là ainsi) en seraient un peu ébranlés. Pour ne pas parler du
« malaise actif » auquel le juge Gerardo d’Ambrosio a attribué la mort de Giuseppe
Pinelli (anarchiste accusé à tort du massacre de la Piazza Fontana en 1979 et
passé par la fenêtre de la préfecture de Milan lors d’un interrogatoire - NDT).
Ou du rebond d’un projectile contre un caillou volant qui a tué Carlo Giuliani
(Gênes 2001 - NDT). Le dénigrement des magistrats (par Berlusconi et consort -
NDT) a son pendant dans la sanctification des magistrats.
13
Inutile de tourner autour du pot.
Cesare Battisti n’a jamais manifesté de repentance.
Le
droit moderne - je l’ai déjà dit - réprime les comportements illicites et
ignore les consciences individuelles. Réclamer une repentance quelconque était
typique de Torquemada ou de Vichinski. Le rejet par Battisti de l’hypothèse de
la lutte armée est explicite dans ses romans Le cargo sentimental et Ma cavale,
non traduits en Italie. Etant écrivain, il s’exprime à travers l’écriture.
En pleutre parfait, il s’est
soustrait à l’extradition et abrité au Brésil, où il est allé vivre rien moins
qu’à Copacabana.
Ceux
qui connaissent Copacabana savent qu’au-delà de la plage et des hôtels, s’étendent
des logements populaires. C’est là que vivait Battisti. Mais maintenant, assez
de conneries. Battisti a été tout ce que vous voulez, sauf une chose : il n’a jamais
été riche. Il n’a jamais été le chouchou des salons que fantasme Panorama. En France, il était concierge de l’immeuble
où il habitait.
Armando Spatro dit, sur le numéro
cité du Corriere della Sera, que Battisti n’a jamais été un
criminel politique, mais bien un délinquant de droit commun, assoiffé d’argent.
Spataro
superpose le parcours de Battisti avant la politisation, quand il était un simple
délinquant de périphérie, à celui qui suviit. Aucune des actions qui lui ont
été attribuées comme « terroristes », vraies ou fausses, ne poursuivait des
fins d’enrichissement personnel. Battisti fut un militant des secteurs armés de
ce qu’on appelait « l’autonomie ouvrière ». Tout le monde le sait, Spataro
inclus. Nier la nature politique de ses actes, pour inciter le gouvernement
brésilien à accorder l’extradition, est le mensonge le plus colossal qui
entoure l’affaire Battisti. Un délinquant de droit commun ne revendique pas son
affiliation aux Prolétaires armés pour le communisme. Du reste, les fascistes,
les para-fascistes, les post-fascistes de l’Italie actuelle citent sans cesse
sa position de « communiste » comme une circonstance aggravante. Tandis que les
ex-communistes manifestent à l’égard de Battisti une horreur identique, vu qu’il
incarne les idées qu’ils ont reniées. Il n’y a jamais eu de cas plus «
politique », de Valpreda à aujourd’hui.
On ne peut pas liquider ainsi, en
quelques phrases, un problème plus complexe.
Exact.
On ne peut pas liquider ainsi le problème plus général de la sortie, une bonne
foi, du régime d’urgence, avec les aberrations juridiques qu’il a introduites dans
la loi italienne. Mais cela peut être l’objet d’autres FAQ, qui vont au-delà du
cas spécifique traité jusqu’ici. Quant aux accusateurs, qui hurlent à gorge
déployée « à bas l’assassin ! », qu’ils observent leurs propres mains. Elles
sont abondamment tachées de sang. Elles ont applaudi un peu à tout, à commencer
par les bombardements sur Belgrade, jusqu’aux massacres au Liban et à Gaza.
Elles se sont rougies dans les applaudissements à des « missions humanitaires »
assaisonnées de massacre (allusion à la présence italienne en Irak - NDT).
Elles ont donné le feu vert à l’élimination sociale des faibles sur le marché
du travail. Vraiment, aujourd’hui, les « ennemis de l’humanité » s’appelleraient
Battisti ou Petrella ?
Notes
(1)
Cf. I. Mereu, Storia dell’intolleranza in
Europa. Sorvegliare et punire,
l’Inquisizione comme modello di
violenza legale, Bompiani, 1988
(2)
Cf. F. Vargas, Postface, in C. Battisti, Ma Cavale, Grasset-Rivages, Paris,
2006,
p. 265
(3)
L’utilisation de la torture dans les procès contre les terroristes de gauche
entre
la fin des années 70 et les années 80, est scrupuleusement documentée dans le
volume
Le torture affiorate, coll. Progetto
Memoria, ed. Sensibili alle foglie, 1998.
(4)
Sur le Panorama du 25 janvier 2009, le journaliste
Amadori, après avoir
entendu
la famille, met en doute la faiblesse de la mémoire de Rita Vetrani - appellée
à
témoigner, alors mineure, contre son oncle. Les rapports des experts, peu
contestables,
sont rapportés textuellement in L. Grimaldi, Processo all’istruttoria,
Milano
Libri, Milan, 1981.