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La Lésion d'Honneur
10 février 2009

Battisti suite

battist

Photo©vincent3m

Un peu de lecture pendant que certains sont en vacances concernant l'Affaire Battisti. Il est important de savoir qu'en Italie il n'y a pas que des groupies du Duce Berlusconi ! Vous pouvez allez voir (Rue89) ICI ce qu'il en est ! Et lire le document ci-dessous répondant à quelques questions souvent posées concernant Battisti !

1

Pourquoi Cesare Battisti fut-il arrêté en 1979 ?

Il fut arrêté dans le cadre des rafles qui frappèrent le Collectif Autonome de la Barona (un quartier de Mila) après que, le 16 février 1979, fut tué le bijoutier Luigi Pietro Torregiani.

Pourquoi le bijoutier Torregiani fut-il assassiné ?

Parce que, le 22 janvier 1979, avec un de ses amis lui aussi armé, il avait tué Orazio Daidone : un des deux braqueurs qui avaient attaqué le restaurant Il Transantlantico où il dînait en nombreuse compagnie. Un client, Vincenzo Consoli, mourut dans la fusillade, un autre fut blessé. Ceux qui ont tué Torregiani entendaient

frapper ceux qui, durant cette période, avaient tendance à « se faire justice eux-mêmes ».

Cesare Battisti participa-t-il au braquage du Transatlantico ?

Non. Personne n’a jamais prétendu cela. Il s’agissait d’un épisode de délinquance commune.

Cesare Battisti participa-t-il au meurtre de Torregiani ?

Non. Cette circonstance aussi - affirmée dans un premier temps - fut ensuite totalement excluse. Autrement, il aurait été impossible de l’impliquer, comme il advint par la suite, dans le meurtre du boucher Lino Sabbadin, survenu dans la province d’Ude ce même 16 février 1979, presque à la même heure.

Et pourtant, on a laissé entendre que Cesare Battisti a blessé un des fils adoptis de Torregiani, Alberto, resté ensuite paraplégique.

Il est avéré qu’Alberto Torregiani a été blessé par erreur par son père, dans l’échange de coups de feu avec les agresseurs.

Les médias insistent pour indiquer que Cesare Battisti est le tueur de Torregiani, souvent même ils disent que c’est lui qui a blessé Alberto et l’a condamné à la chaise roulante. Alberto ne rectifie jamais, ne fut-ce que par souci de précision. Spataro non plus ne rectifie jamais. Pourquoi ?

C’est inexplicable. Les assassins réels (Sebastiano Masala, Santo Fatone, Gabriele Grimaldi et Giuseppe Memeo) ont été capturés peu de temps après le guet-apens et ont purgé des peines plus ou moins longues.

2

Le procureur Armando Spataro, dans le Corriere della Sera du 23 janvier 2008, dit que Battisti « exécuta » Luigi Pietro Torregiani, coupable d’avoir réagi armes à la main contre un braquage qu’il avait subi.

Cela aussi est inexplicable. Le déroulement des faits est très différent, Spataro lui-même l’expliqua d’autres fois: Torregiani et un collègue firent feu, avec des revolvers de gros calibres, sur des gens en train de braquer la caissse du restaurant Transatlantique où ils étaient en train de dîner avec des amis.

Pourquoi donc Cesere Battisti est-il associé au meurtre de Torregiani ?

Avant tout parce que, de son propre aveux, il faisait partie du groupe qui revendiqua l’attentat, les Prolétaires armés pour le Communisme. Le même groupe qui revendiqua l’attentat contre Sabbadin.

Qu’est-ce que c’était, les Prolétaires armés pour le Communisme (PAC) ?

Un des nombreux groupes armés nés, vers la fin des années 70, dans le mouvement dit de l’Autonomie ouvrière, et qui se consacraient à ce qu’ils appelaient l’ « illégalité diffuse » : des « expropriations » (banques, supermarchés) aux représailles contre les entreprises qui organisaient le travail noir jusqu’à, plus rarement, des attentats visant blesser ou à tuer.

Les PAC ressemblaient-ils aux Brigades rouges ?

Non. Comme tous les groupes autonomes, ils ne projetaient ni la construction d’un nouveau parti communiste, ni un renversement immédiat du pouvoir. Ils cherchaient plutôt à prendre le contrôle du territoire, en y déplaçant les rapports de force en faveur des classes subalternes, et en particulier de leurs composantes juvéniles. Ce projet, quel que soit le jugement qu’on porte sur lui (en tout cas, il n’a

pas marché), ne coïncidait pas avec celui des BR.

Le procureur Spataro a dit que les adhérents des PAC n’étaient pas plus d’une trentaine.

Les personnes poursuivies pour appartenance aux PAC étaient au moins 60. La plus grande partie étaient des jeunes ouvriers. Ensuite, il y avait des chômeurs et des enseignants. Les étudiants n’étaient que trois. Le sigle PAC fut de toute façon utilisé par d’autres regroupements.

Trente ou soixante, ça ne fait pas beaucoup de différence.

Ça en fait, en fait. Cela change les probabilités de participation aux choix généraux de l’organisation, et aussi aux actions projetées par celle-ci. N’oublions pas 3 que si les braquages attribués aux PAC sont des dizaines, les meurtres sont au nombre de quatre. La participation directe à l’un d’entre eux devient beaucoup moins probable, quand on double le chiffre des effectifs.

Cesare Battisti était le chef, ou l’un des chefs des PAC ?

Non. C’est une pure invention journalistique. Ni les actes du procès, ni aucun autre élément n’incitent à le considérer comme un des chefs. Du reste, il n’avait pas un passé tel - comme ex petit voleur de banlieue, privé de formation idéologique -qu’il puisse jouer un rôle de ce genre. C’était un militant parmi tant d’autres.

Au procès, Battisti fut pourtant jugé parmi les « organisateurs » du meurtre de Torreggiani.

De manière déductive. D’après le dissocié Arrigo Cavallina, il aurait participé à des réunions où on avait discuté de l’éventualité de l’attentat, sans exprimer d’avis contraire. Sauf qu’avec l’entrée en scène du repenti Mutti - après que Battisti, condamné à douze ans et demi, se fut évadé de prison et enfui au Mexique - l’accusation se précisé, mais encore une fois de manière déductive. Puisque Battisti était accusé par Muti d’avoir joué un rôle de couverture dans le meurtre de Sabbadin, et puisque les attentats contre Torregiani et Sabbadin étaient clairement inspirés par la même stratégie (frapper les commerçants qui tuaient les braqueurs), Battisti devait forcément se trouver parmi les « organisateurs » du guet-apens contre Torregiani, même sans y avoir participé en personne.

Et pourtant, de tous les crimes attribués à Battisti, celui sur lequel on insiste

le plus est justement l’affaire Torregiani.

Peut-être parce qu’elle se prêtait pus que les autres à un usage « spectaculaire » (voir l’usage récurant par les médias d’Alberto Torregiani, pas toujours disposé, pour des motifs par ailleurs compréhensibles, à révéler qui l’a blessé). Ou bien - vu ceux qui nous gouvernent et les propositions formulées il y a quelques années par le ministre Castelli, sur le thème de l’auto-défense des commerçants - était-ce l’épisode le mieux à même de faire vibrer certaines cordes dans l’électorat de référence.

En tout cas, ceux qui défendent Battisti ont souvent joué la carte de la

« simultanéité » entre le meurtre de Torregiani et celui de Sabbadin, alors que

Battisti a été accusé d’avoir « organisé » le premier et « exécuté » le second.

Ceci est dû à l’ambiguïté même de la première demande d’extradition de Battisti (en 1991), aux informations contradictoires fournies par les journaux (le nombre et la qualification des crimes variait d’un titre à l’autre), au silence de ceux qui savaient. N’oublions pas qu’Armando Spataro a fourni des détails sur l’affaire - pour mieux dire, un certain nombre de détails - seulement après que la campagne en faveur de Cesare Battisti a commencé à contester la manière dont furent menées l’instruction et le procès. N’oublions pas non plus que le gouvernement italien a jugé bon de soumettre aux magistrats français, à la veille de l’audience qui devait examiner la nouvelle demande d’extradition de Cesare Battisti, 800 pages de documents. Il est facile d’en conclure qu’il jugeait lacunaire la documentation produite jusque-là. Par conséquence, et à plus forte raison, de telles lacunes existaient aussi pour ceux qui voulaient empêcher l’extradition.

La simultanéité entre le meurtre de Sabbadin et celui de Torregiani démontre une conception unique.

Mais il faudrait prouver que Battisti participa effectivement au meurtre de Sabbadin. Initialement, le repenti Mutti attribua à Battisti la culpabilité d’avoir tiré sur le boucher et dit ne pas avoir participé à l’action. Malheureusement pour lui, le militant des PAC Diego Giacomin se dissocia et révéla que c’était lui-même qui avait tué le commerçant, en compagnie de Mutti. A ce point - à ce point seulement – Mutti dut admettre sa présence et rétrograda Battisti au rôle de complice. (2)

En tout cas, le procès contre Cesare Battisti et contre les autres accusés du meurtre de Torregiani fut un procès régulier.

Non, ce ne fut pas un procès régulier et le démontrer est plutôt simple.

Pourquoi le procès Torregiani, élargi ensuite à toute l’affaire des PAC, ne fut-il pas régulier.

Il ne fut pas régulier, sinon dans le cadre des distorsions de la légalités introduites par la soi-disant « situation d’urgence ». Du point de vue du droit général, le procès fut vicié par trois éléments au moins : le recours à la torture pour extorquer des aveux dans la phase de l’instruction (3), l’utilisation de témoins mineurs ou affectés de troubles psychiques, la multiplication des chefs d’accusation sur la base des déclarations d’un repenti d’une fiabilité incertaine. Plus d’autres éléments

mineurs.

Les magistrats torturèrent les personnes arrêtées ?

Non. Ce fut la police qui les tortura. Il n’y eut pas moins de treize plaintes : huit provenant d’inculpés, cinq de leurs parents. Ce n’était pas un fait inédit, mais certes jusque-là insolite, dans une instruction de ce type. Les magistrats se limitèrent à enregistrer les plaintes, pour ensuite les classer.

Peut-être qu’ils les ont classées parce qu’il ne s’agissait pas de tortures, mais de simples pressions un peu fortes sur les inculpés.

Un des cas les plus fréquemment dénoncés fut celui de l’obligation d’ingurgiter de l’eau versée dans la gorge de la personne interrogée, à pleine pression, par le moyen d’un tuyau, tandis qu’un agent lui donnait des coups de genou dans l’estomac.Tous racontèrent aussi avoir été contraints de se déshabiller, avoir été enveloppés de couvertures pour éviter les marques et ensuite frappés à coups de poing ou de bâton. Quelquefois attachés à une table ou à un banc.

Si les magistrats ne donnèrent pas de suite aux plaintes, c’est peut-être parce qu’il n’y avait pas de preuves que tout cela ait réellement eut lieu.

De fait, le substitut Alfondo Marra, charger d’un rapport par le juge instructeur Maurizio Grigo, après avoir déclassé les délits commis par les agents de la Digos (police politique - NDF) de « lésions » à « coups » en absence de signes permanents sur le corps (en Italie, le délit de torture n’existait pas, et il n’existe toujours pas), ce substitut concluait que l’imputation de « coups » ne pouvait pas avoir de suite, vu que les agents, uniques témoins, ne confirmaient pas. De son côté, le procureur Corrado Carnevali, chargé du procès Torregiani, insinua que les plaintes pour torture constituaient un système adopté par les accusés pour délégitimer toute l’enquête.

Rien ne nous dit que le procureur Carnevali ait eu tort.

Un épisode au moins ne coïncide pas avec sa thèse. Le 25 févier 1979, l’inculpé Sisino Bitti dénonça au substitut Armando Spataro les tortures subies et revint sur les aveux faits durant l’interrogatoire. Entre autres, il raconta qu’un policier, en le frappant avec un bâton, l’avait incité à dénoncer un certain Angelo ; sur quoi, il avait dénoncé le seul Angelo qu’il connaissait, un certain Angelo Franco. La rétractation de Bitti ne fut pas crue et Angelo Franco, un ouvrier, fut arrêté comme participant au meurtre de Torregiani. Sauf que quelques jours plus tard, on dut le relâcher : il ne pouvait en aucune manière avoir pris part au guet-apens. Donc la rétractation de Bitti était sincère et donc, selon toute probabilité, étaient vraies aussi les violences par lesquelles ses faux aveux avaient été obtenus. Sisinio Bitti se retrouva avec des lésions permanentes des tympans. Il se les était procurées tout seul ?

Même si on admet le recours à des sévices durant la phase de l’instruction, cela n’absout pas Cesare Battisti.

Non, mais cela donne une idée du type de procès où il fut impliqué. Le définir comme « régulier » est pour le moins discutable. Parmi les témoins à charge de certains accusés figurait aussi une gamine de quinze ans, Rita Vitrani, poussée à déposer contre son oncle ; jusqu’à ce que les contradictions et les naïvetés où elle tombait ne fassent comprendre qu’elle était psychiquement faible (« aux limites de l’imbécillité », déclarèrent les experts) (4). Il y eut aussi un autre témoin, Walter Andreatta , qui tomba rapidement dans un état confusionnel et fut défini comme « déséquilibré » et victime de crises dépressives par les mêmes experts du tribunal.

Même si on admet le cadre précaire de l’enquête, il faut considérer que Cesare Battisti renonça à se défendre. Presque une reconnaissance de culpabilité même si, avant de se taire, il se proclama innocent.

Ça peut apparaître comme cela aujourd’hui, mais pas à l’époque. C’est même le contraire. A cette époque, les militants des groupes armés capturés se proclamaient prisonniers politiques et renonçaient à se défendre parce qu’ils ne reconnaissaient pas la « justice bourgeoise ». Battisti renonça parce qu’il dit douter de l’équité du procès.

Si on laisse de côté les violences et les témoignages peu fiables durant la phase de l’instruction, le procès fut néanmoins mené à bien avec équité.

Pas vraiment. Des accusés mineurs fut frappés de peines disproportionnées. Bitti, déjà cité, reconnu innocent de tout délit, fut quand même condamné à trois ans et demi de prison pour avoir été entendu approuver, dans un lieu public, l’attentat contre Torregiani. On avait eu recours au dénommé « concours moral » à un meurtre, chef d’accusation directement inspiré des procédures de l’Inquisition. Angelo Franco, déjà cité, quelques jours après avoir été relâché, fut de nouveau arrêté, cette fois pour association subversive, et condamné à cinq ans. Cela en l’absence de tout autre délit, simplement parce qu’il avait fréquenté le collectif autonome de la Barona.

D’après Luciano Violante (haut magistrat proche de la « gauche » institutionnelle italienne - NDT), une certaine « dureté » était indispensable pour étouffer le terrorisme. Et Armando Spataro soutien que, pour cela, la circonstance aggravante des « fins terroristes », qui doublait les peines, se révéla une arme décisive.

Elle brisa aussi les vies de nombreux jeunes, arrêtées sur des accusations destinées à s’aggraver de manière exponentielle au cours de leur détention, même en l’absence de crime de sang.

Cela ne vaut pas pour Cesare Battisti, condamné à la perpétuité pour avoir participé à deux meurtres et en avoir exécuté deux autres.

Nous avons parlé des meurtres de Torregiani et de Sabadin. Venons-en à Santoro et Capagna. Mutti accuse Battisti d’être le meurtrier de Santoro mais ensuite les preuves le contraignent à admettre que c’est lui, l’assassin. Le meurtre de l’agent Campagna advient après que les PAC se soient dissoutes, et un petit groupe de quartier en poursuit la pratique. L’assassin s’appelle Giuseppe Memeo, coupable

avoué. Il a tiré avec le même pistolet que celui qui avait tué Torregiani. Mutti en parle par ouï-dire. Memeo avait un complice blond, d’1 mètre 90. Battisti ? On va y revenir. Au terme du procès de première instance, Battisti, arrêté à l’origine sous des accusations mineures (possession d’armes, qui d’ailleurs s’avèrent n’avoir jamais tiré), se retrouva condamné à douze ans et demi de prison. Les condamnations à la réclusions tombèrent cinq ans après son évasion de prison. Mais là, il est temps de parler des « repentis » et, surtout, du principal repenti qui l’accusa. Pour ensuite entrer dans la discussion des trois autres crimes.

Essayons de comprendre ce que c’est qu’un « repenti ».

Si nous nous référons aux groupes d’extrême gauche, on appelait ainsi les détenus pour délits en relation avec des associations armées, détenus qui, en échange de remises de peine consistantes, renient leur expérience et acceptent de dénoncer leurs camarades, contribuant ainsi à leur arrestation et au démantèlement de l’organisation. De fait, une figure de ce genre existait déjà à la fin des années 70 mais elle fait partie de manière stable de l’ordre juridique grâce d’abord à la « loi Cossiga » du 6/2/1980 puis avec la « loi sur les repentis » du 29/5/1982. Elle manifeste les dangers inhérents à son mécanisme aussi bien avant qu’après cette date.

Ce serait quoi, ces dangers ?

La logique de la norme faisait que le « repenti » pouvait compter sur des réductions de peine d’autant plus élevées qu’il dénonçait un plus grand nombre de gens ; donc, une fois épuisée la réserve d’informations en sa possession, il était poussé à s’appuyer sur des présomptions et sur les bruits recueillis ici et là. En outre, la rétroactivité de la loi incitait à des délations indiscriminées même de très nombreuses années après les faits, quand les vérifications matérielles étaient devenues impossibles.

Existe-t-il des exemples de ces effets pervers ?

Le cas le plus spectaculaire fut celui de Carlo Fioroni, qui, menacé de la perpétuité pour l’enlèvement à fin de chantage d’un ami, décédé au cours de l’enlèvement, accusa de complicité Toni Negri, Oreste Scalzone et d’autres responsables de l’organisation Potere Operaio, échappant ainsi à la condamnation. Mais d’autres repentis aussi, tels que Marco Barbone (aujourd’hui collaborateur de quotidiens de droite), Antonio Savasta, Pietro Mutti, Michele Viscardi, etc. continuèrent pendant des années à pressurer leur mémoire pour distiller des noms. Chaque dénonciation était suivie d’arrestations, au point que la détention devint arme de pression pour obtenir de nouveaux repentirs. Malheureusement, cela ne suscita de scandale que dans un second temps, quand la logique du repentir, appliquée au terrain de la criminalité commune, provoqua l’affaire Tortora (présentateur télévisé accusé par un repenti d’appartenance à la mafia en 1983, arrêté, condamné à dix ans de prison puis innocenté en 1986 - NDT) et d’autres moins connues.

Pietro Muti fut l’accusateur principal de Cesare Battisti. Qui était-il ?

Ce fut, de son propre aveux, le fondateur des PAC. Bien qu’en cavale, il figura parmi les accusés du procès Torregiani, et l’accusation demanda pour lui huit ans de prison. Il fut capturé en 1982 (alors que Battisti s’était déjà évadé), à la suite de la fuite hors de la prison de Rovigo, le 4 janvier de cette année, de quelques militants de Prima Linea. Mutti fut parmi les organisateurs de l’évasion. Il avait été compagnon de cellule de Battisti, quand ils étaient en prison pour des délits de droit commun, et

auteur de sa politisation (un rôle curieusement revendiqué ensuite par le dissocié

Arrigo Cavallina).

De quels délits Mutti, une fois repenti, accusa-t-il Battisti ?

Si on néglige les délits mineurs, de trois meurtres. Battisti (avec une complice et avec Mutti lui-même, qui dans un premier temps essaya de nier sa présence) aurait directement assassiné, le 6 juin 1978, le brigadier des gardiens de la prison d’Udine Antonio Santoro, que les PAC accusaient de maltraiter les détenus. Il aurait directement assassiné à Milan, le 19 avril 1979, l’agent de la Digos Andrea Campagna, qui avait participé aux premières arrestations liées à l’affaire Torregiani. Aux deux crimes auraient pris part, sans tirer directement mais avec des rôles de couverture, au meurtre déjà cité du boucher Lindo Sabbadin de Santa Maria di Sala. De tout cela, on a déjà discuté.

Le meurtre de Sabbadin est parmi ceux dont on a le plus parlé. Dans une interview à un groupe d’extrême-droite française, le Bloc Identitaire, le fils de Lino Sabbadin, Adriano, a déclaré que les assassins du père auraient été les complices du braqueur tué par lui.

Ou bien sa réponse a été mal interprétée, ou bien il a déclaré une chose qui n’apparaît dans aucun acte judiciaire. Mieux vaut laisser de côté les déclarations des familiers des victimes, dont la fonction, au cours des quatre dernières années, a été essentiellement du spectacle.

Cesare Battisti est-il coupable ou innocent des trois meurtres dont l’accusa Mutti ?

Il se dit innocent, même s’il assume le choix erroné en direction de la violence qui, en ces années-là, l’impliqua, lui comme tant d’autres jeunes. Mais ici, il ne s’agit pas d’établir l’innocence ou pas de Battisti. Il s’agit en revanche de voir si sa culpabilité fut vraiment jamais prouvé, ainsi que de vérifier, à cette fin, si la procédure qui conduisit à sa condamnation peut être jugée correcte. Au cas contraire, on ne pourrait expliquer l’acharnement avec lequel le gouvernement italien, avec le soutien en outre de noms illustres de l’opposition, a essayé de se faire livrer Battisti par la France d’abord, puis par le Brésil.

A part les dénonciations de Mutti, est-ce que d’autres preuves à charge contre Battisti sont apparues, pour les meurtres de Santoro, de Sabbadin (ne fût-ce que pour un rôle de couverture) et de Campagna ?

Non. Quand les magistrats, aujourd’hui, parlent de « preuves », ils se réfèrent au croisement effectué par eux, entre les déclarations d’un repenti (dans notre cas Mutti) et les indices indirectement fournis par les « dissociés », du genre Cavallina.

Armando Spataro continue à affirmer qu’il y aurait des preuves et des vérifications.

Il continue à le dire mais ne spécifie jamais lesquelles.

Qu’est-ce qu’on entend par « dissocié » ?

Quelqu’un qui prend ses distances de l’organisation armée à laquelle il appartenait et qui avoue ses délits et les circonstances qui le concernent, mais sans accuser d’autres personnes. Ceci entraîne une remise de peine, même si, évidemment, elle est inférieure à celle d’un repenti.

En quel sens un dissocié peut-il fournir indirectement des indices ?

Par exemple, s’il affirme ne pas avoir participé à une réunion parce qu’opposé à une certaine action qui était projeté durant celle-ci, mais sans dire qui y participait. Si entre-temps un repenti a dit que X a participé à cette réunion, X figurera automatiquement parmi les organisateurs.

Qu’est-ce qui ne va pas, dans cette logique ?

Il y a que, aussi bien la dénonciation directe du repenti, que l’indice fourni par le dissocié, proviennent de personnes poussées par la promesse d’un raccourcissement de sa détention. Leur lecture conjointe, si les preuves manquent, est effectuée par un magistrat qui les choisit parmi différentes variantes possibles. En outre, c’est de toute façon le repenti, c’est-à-dire celui qui a les plus fortes incitations, qui est déterminant. Tout cela, dans d’autres pays (non totalitaires) serait admis dans la phase de l’instruction, et dans les phases de débats, pour la confrontation avec l’accusé. Ce ne serait jamais accepté avec une valeur probatoire dans la phase du jugement. En Italie, oui.

Dans le cas de Battisti, d’autres preuves manquent ?

Il y a seulement des reconnaissances de témoins que le magistrat Armando Spataro lui-même a défini peu significatives.

Et pourtant, il dit que « les aveux de Mutti (…) ont été confortés par de nombreux témoignages et par les déclarations ultérieures d’autres exterroristes.»

Il s’agit toujours de Mutti et de Cavallina. Quand aux témoins, il suffit de dire qu’ils affirment que l’auteur du meurtre de Santoro avait la barbe (et là, nous y sommes, Mutti parle d’une fausse barbe), était blond (Battisti aurait pu se teindre les cheveux) et mesurait 1,90 (là, nous n’y sommes plus : Battisti dépasse de peu 1,60 m).

Mais le repenti Pietro Mutti ne peut-il pas être considéré comme crédible ?

Est-ce qu’il y a des motifs pour soutenir qu’il est tombé dans le mécanisme « plus j’avoue, moins je reste en prison » ?

C’est une sentence de la Cassation de 1993 qui le soutient. Citons-la textuellement : « Ce repenti est un spécialiste des tours de prestidigitation entre ses divers complices, comme quand il introduit Battisti dans l’attaque à main armée de viale Fulvio Testi pour sauver Falcone (…) ou encore Lavazza ou Bergamin à la place de Marco Masala dans deux braquages de la région de Vérone. » Plus bas : « Du reste, Pietro Mutti utilise aussi l’arme du mensonge en faveur de lui-même, comme quand il nie avoir participé avec usage des armes à feu, à l’agression de Rossanigo, blessé, ou à celle de Santoro, tué ; pour lesquelles il avait été déféré par la Digos de Milan et par les carabiniers d’Udine. Voilà pourquoi ses aveux ne peuvent être considérés comme spontanés. » Tenons compte en outre que Mutti, coupable de meurtres et de braquages, n’a passé que huit ans en prison. Un privilège partagé avec l’assassin de Walter Tobagi (cette affaire aussi, sur laquelle flottent de nombreux doutes, fut instruite par Armando Spataro), avec le multi-homicide Michele Viscardi et beaucoup d’autres repentis.

Il y a d’autres motifs pour douter de la sincérité de Mutti ?

Oui. Les dénonciations de Mutti ne concernèrent pas que Battisti et les PAC mais furent à 360° et adressées dans les directions les plus variées. La plus spectaculaire concernait l’OLP de Yasser Arafat, qui aurait fourni des armes aux Brigades Rouges. En particulier, soutint Mutti, « trois fusils AK47, 20 grenades, deux mitrailleuses FAL, trois revolvers, une carabine de précision, 30 kilos d’explosifs et dix mille détonateurs » (pas grand chose, au fond, à part le numéro incongru de détonateurs ; il manquait juste qu’Arafat livre un pistolet à air comprimé). Le procureur Carlo Mastelloni peut, sur la base de cette précieuse révélation, ajouter un fascicule à son « enquête en Vénétie » sur les rapports entre terroristes italiens et palestiniens, et il voulut même faire juger Yasser Arafat. Puis il dut tout classer, parce qu’Arafat ne vint pas et que le reste se dégonfla.

11

Cela a voir avec les armes, provenant du Front Populaire pour la Libération de la Palestine, mise en vente en 1979, par un certain Maurizio Follini, qu’Armando Spataro dit avoir été militant des PAC ?

Ce Follini était un marchand d’armes et, selon certaines sources, espion soviétique. Il fut mis en cause par Mutti, mais à propos d’autres groupes que les PAC. Mieux vaut étendre un voile miséricordieux là-dessus. Mais après avoir noté combien les révélations de Mutti tournaient au délire.

Mutti n’est peut-être pas fiable pour d’autres enquêtes, mais rien ne nous garantit que, au moins sur les PAC, il ne dise pas la vérité.

Rien ne nous le dit, en fait, sinon un détail. En 1993, la Casation a relaxé une coaccusée de Battisti (dans l’affaire Santoro), elle aussi dénoncée par Mutti. Je parle de 1993. Pendant dix ans, la magistrature avait cru, à son égard, aux accusations du repenti. Sans commentaires.

Même si on admet que le procès qui s’est conclu par la condamnation de Cesare Battisti a été vicié par des irrégularités et s’est appuyé sur les dépositions de repentis peu crédibles, il est certain que Battisti a pu se défendre devant les différentes juridictions.

Ce n’est pas vrai, au moins pour ce qui concerne le procès d’appel de 19896, qui modifia la décision du premier degré et le condamna à la perpétuité. Battisti était alors au Mexique et ignorait ce qui se passait contre lui en Italie.

Le magistrat Armando Spataro a dit que, même s’il s’était de sa propre initiative soustrait à la justice italienne, Battisti put se défendre à tous les degrés du procès à travers l’avocat nommé par lui.

Ce n’est vrai que pour la période où Battisti se trouvait en France, et donc cela vaut essentiellement pour le procès en cassation qui eut lieu en 1991. Cela ne vaut pas pour le procès de 1986, qui déboucha sur la décision de la cour d’appel de Milan du 24 juin de cette année-là. A ce moment-là, Battisti n’avait de contacts ni avec l’avocat, payé par sa famille, ni avec sa famille elle-même.

Ça, c’est lui qui le dit.

Bon, Me Giuseppe Pelazza de Milan, qui assura sa défense, le dit aussi, et sa famille aussi. Mais certainement, il s’agit de témoignages partiaux. Reste le fait que Battisti ne fut jamais confronté avec le repenti Mutti qui l’accusait. Il s’était échappé de prison, d’accord : mais le fait objectif est qu’il ne peut intervenir dans une procédure qui transforma sa condamnation à douze ans de détentions en deux peines de perpétuité (aucun autre accusé du procès n’eut une condamnation semblable, ycompris les assassins de Torregiani !) et qui lui attribua l’exécution de deux meurtres, la participation à des titres divers à deux autres, quelques blessures et une soixantaine de braquages (c’est-à-dire l’activité entière des PAC). Ceci était et est admissible pour la loi italienne mais pas par la législation d’autres pays qui, tout en prévoyant la condamnation par contumace, impose un nouveau procès en cas de capture du contumax.

Mais Battisti signa des délégations à ses avocats, pour qu’ils le représentent pendant qu’il était contumax.

Il a été amplement démontré, par des experts de la défense mais choisis parmi ceux agrémentés par le tribunal de Paris, que les signatures furent falsifiées (peut-être dans une bonne intention). Les procurations étaient en blanc, et furent rédigées en 1981.

Battisti affirme son innocence, hormis des faits mineurs attribuables aux PAC, sans fournir de preuves concrètes.

Mais Battisti n’est pas tenu de prouver quoi que ce soit ! La charge de la preuve revient à ceux qui l’accusent. Quant au fond de la question, tâchons de le résumer : 1) Une instruction menée à partir d’aveux extorqués par des méthodes violentes ; 2)une série de témoignages de personnes incapables de témoigner, de par leur âge ou leurs facultés mentales ; 3) une sentence d’une sévérité exagérée ; 4) Une aggravation de la sentence en question consécutive à l’apparition tardive d’un « repenti » qui dévide des accusations toujours plus graves et généralisées. Le tout dans le cadre de normes rendues beaucoup plus dures et visant à l’étouffement rapide d’un mouvement social de vaste portée, plus ample que les positions individuelles.

Cela n’ôte rien au fait qu’une grande partie de la gauche se range en rangs serrés dans le soutien à un magistrat comme Armando Spataro, et soit unanime à demander l’extradition au Brésil.

Précisément, ceci est le problème de la gauche. C’est à se demander si elle sait ce que non seulement Spataro, mais aussi d’autres magistrats qui comme lui conduisirent la répression des mouvements des années 70, pensent des cas d’Adriano Sofri ou de Silvia Baraldini (deux affaires où la gauche a soutenu la révision des condamnations - NDT). J’imagine - ou peut-être j’espère - qu’un bon nombre de membres de la « gauche » (appelons là ainsi) en seraient un peu ébranlés. Pour ne pas parler du « malaise actif » auquel le juge Gerardo d’Ambrosio a attribué la mort de Giuseppe Pinelli (anarchiste accusé à tort du massacre de la Piazza Fontana en 1979 et passé par la fenêtre de la préfecture de Milan lors d’un interrogatoire - NDT). Ou du rebond d’un projectile contre un caillou volant qui a tué Carlo Giuliani (Gênes 2001 - NDT). Le dénigrement des magistrats (par Berlusconi et consort - NDT) a son pendant dans la sanctification des magistrats.

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Inutile de tourner autour du pot. Cesare Battisti n’a jamais manifesté de repentance.

Le droit moderne - je l’ai déjà dit - réprime les comportements illicites et ignore les consciences individuelles. Réclamer une repentance quelconque était typique de Torquemada ou de Vichinski. Le rejet par Battisti de l’hypothèse de la lutte armée est explicite dans ses romans Le cargo sentimental et Ma cavale, non traduits en Italie. Etant écrivain, il s’exprime à travers l’écriture.

En pleutre parfait, il s’est soustrait à l’extradition et abrité au Brésil, où il est allé vivre rien moins qu’à Copacabana.

Ceux qui connaissent Copacabana savent qu’au-delà de la plage et des hôtels, s’étendent des logements populaires. C’est là que vivait Battisti. Mais maintenant, assez de conneries. Battisti a été tout ce que vous voulez, sauf une chose : il n’a jamais été riche. Il n’a jamais été le chouchou des salons que fantasme Panorama. En France, il était concierge de l’immeuble où il habitait.

Armando Spatro dit, sur le numéro cité du Corriere della Sera, que Battisti n’a jamais été un criminel politique, mais bien un délinquant de droit commun, assoiffé d’argent.

Spataro superpose le parcours de Battisti avant la politisation, quand il était un simple délinquant de périphérie, à celui qui suviit. Aucune des actions qui lui ont été attribuées comme « terroristes », vraies ou fausses, ne poursuivait des fins d’enrichissement personnel. Battisti fut un militant des secteurs armés de ce qu’on appelait « l’autonomie ouvrière ». Tout le monde le sait, Spataro inclus. Nier la nature politique de ses actes, pour inciter le gouvernement brésilien à accorder l’extradition, est le mensonge le plus colossal qui entoure l’affaire Battisti. Un délinquant de droit commun ne revendique pas son affiliation aux Prolétaires armés pour le communisme. Du reste, les fascistes, les para-fascistes, les post-fascistes de l’Italie actuelle citent sans cesse sa position de « communiste » comme une circonstance aggravante. Tandis que les ex-communistes manifestent à l’égard de Battisti une horreur identique, vu qu’il incarne les idées qu’ils ont reniées. Il n’y a jamais eu de cas plus « politique », de Valpreda à aujourd’hui.

On ne peut pas liquider ainsi, en quelques phrases, un problème plus complexe.

Exact. On ne peut pas liquider ainsi le problème plus général de la sortie, une bonne foi, du régime d’urgence, avec les aberrations juridiques qu’il a introduites dans la loi italienne. Mais cela peut être l’objet d’autres FAQ, qui vont au-delà du cas spécifique traité jusqu’ici. Quant aux accusateurs, qui hurlent à gorge déployée « à bas l’assassin ! », qu’ils observent leurs propres mains. Elles sont abondamment tachées de sang. Elles ont applaudi un peu à tout, à commencer par les bombardements sur Belgrade, jusqu’aux massacres au Liban et à Gaza. Elles se sont rougies dans les applaudissements à des « missions humanitaires » assaisonnées de massacre (allusion à la présence italienne en Irak - NDT). Elles ont donné le feu vert à l’élimination sociale des faibles sur le marché du travail. Vraiment, aujourd’hui, les « ennemis de l’humanité » s’appelleraient Battisti ou Petrella ?

Notes

(1) Cf. I. Mereu, Storia dell’intolleranza in Europa. Sorvegliare et punire,

l’Inquisizione comme modello di violenza legale, Bompiani, 1988

(2) Cf. F. Vargas, Postface, in C. Battisti, Ma Cavale, Grasset-Rivages, Paris,

2006, p. 265

(3) L’utilisation de la torture dans les procès contre les terroristes de gauche

entre la fin des années 70 et les années 80, est scrupuleusement documentée dans le

volume Le torture affiorate, coll. Progetto Memoria, ed. Sensibili alle foglie, 1998.

(4) Sur le Panorama du 25 janvier 2009, le journaliste Amadori, après avoir

entendu la famille, met en doute la faiblesse de la mémoire de Rita Vetrani - appellée

à témoigner, alors mineure, contre son oncle. Les rapports des experts, peu

contestables, sont rapportés textuellement in L. Grimaldi, Processo all’istruttoria,

Milano Libri, Milan, 1981.

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Commentaires
F
Moi je ne retiens qu'une chose : Un Président Français s'est engagé, point ! La parole de la France ne peut pas changer avec les présidents ! Il est question d'éthique, comprend qui peut...
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